En Espagne, cinq ans de politiques à contre-courant

Le gouvernement espagnol de coalition a développé un programme qui, dans de nombreux domaines, va à l’encontre des recettes néolibérales et du conservatisme croissant qui se répand en Europe.

Pablo Castaño  • 19 mars 2025 abonné·es
En Espagne, cinq ans de politiques à contre-courant
Manifestation de soutien à Pedro Sánchez, à Madrid, en avril 2024.
© OSCAR DEL POZO / AFP

L’une des mesures les plus populaires a été l’augmentation annuelle du salaire minimum interprofessionnel (SMI), qui est passé de 736 euros par mois en 2018 à 1 184 euros en 2025, soit une augmentation de 61 %. Bien que l’inflation ait augmenté sur la même période, les travailleurs percevant les salaires les plus bas ont vu leur pouvoir d’achat croître de plus de 30 %. Selon un rapport de la Fondation Iseak, l’augmentation du SMI a particulièrement bénéficié aux femmes, aux jeunes et aux travailleurs migrants, et a contribué à réduire les inégalités salariales.

L’autre mesure phare a été la réforme du travail de 2021, qui a partiellement annulé la dérégulation imposée par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, après la crise de 2008. La loi de 2021 a fait du contrat à durée indéterminée la norme, réduisant ainsi la précarité traditionnelle du marché du travail espagnol, et a renforcé la négociation collective. L’effet principal de cette réforme a été la baisse du taux de travail temporaire dans le secteur privé. Le prochain objectif du gouvernement est de réduire la durée hebdomadaire du travail de 40 à 37,5 heures, une réforme qui doit encore obtenir le soutien parlementaire nécessaire.

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L’accord de gouvernement entre le PSOE et Sumar prévoyait une réforme fiscale pour augmenter les recettes et rendre le système plus progressif. Ce point a été l’un des principaux terrains d’affrontement entre les partenaires, Sumar faisant pression sur le PSOE pour augmenter les impôts sur les grandes fortunes et les entreprises. En 2024, la réforme a été adoptée, introduisant une nouvelle taxe sur le secteur bancaire, une légère hausse de l’imposition des revenus du capital les plus élevés et un taux minimum de 15 % pour les multinationales, conformément à une directive européenne. Cette réforme accroît la capacité de collecte de l’État, mais elle ne rendra pas le système fiscal beaucoup plus progressif.

Avancées féministes et droits LGBTI +

Connue populairement sous le nom de loi « seul un oui est un oui » et adoptée au milieu d’une grande controverse, cette loi réforme le code pénal pour souligner que toute relation sexuelle sans consentement est une agression. En outre, elle améliore la protection et l’accompagnement des femmes victimes de violences sexuelles.

Troisième pays au monde à légaliser le mariage entre personnes du même sexe, en 2005, l’Espagne a également été pionnière en matière de droits des personnes trans : depuis 2023, il existe un droit de changer de sexe légal sans rapports psychiatriques. La loi inclut des mesures pour améliorer la situation socio-économique de la communauté trans, qui connaît un taux de chômage de 80 %. L’extrême droite considère cette loi comme l’essence même de l’« idéologie du genre » qui, selon elle, mettrait en péril les conceptions traditionnelles du genre et de la famille.

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Immigration : un assouplissement limité

La politique migratoire espagnole, contrôlée par le PSOE, relève d’une contradiction entre le discours et la pratique. Pedro Sánchez met en avant les effets positifs de l’immigration sur l’économie espagnole et rejette fermement les discours xénophobes, mais aucune réforme progressiste de la loi sur l’immigration n’a été adoptée. La législation maintient des mesures répressives telles que les centres de rétention pour étrangers et normalise l’irrégularité administrative comme source de main-d’œuvre bon marché, à l’instar d’autres pays européens.

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Une réforme administrative récente assouplit les critères pour obtenir le permis de séjour et de travail pour certains travailleurs migrants, mais laisse de côté des milliers d’autres demandeurs d’asile. Par ailleurs, une initiative législative populaire a été présentée au Parlement pour demander la régularisation de 400 000 travailleurs en situation irrégulière, comme cela avait été fait sous le gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero. Sumar a exprimé son soutien à cette proposition, mais les socialistes restent ambivalents.

Logement et climat : les dossiers en suspens

Les politiques progressistes en matière d’économie, de travail ou de féminisme contrastent avec l’incapacité du gouvernement espagnol à freiner la crise du logement. Les loyers ont augmenté de 74 % en dix ans, une tendance que la loi sur le logement de 2023 n’a pas réussi à inverser.

Les résultats du gouvernement de coalition sont également modestes en ce qui concerne la crise climatique. Bien que la loi prévoie de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050, les émissions espagnoles de CO₂ ont légèrement augmenté en 2024. Pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, le gouvernement de Sánchez et de Díaz devrait faire preuve de la même détermination en matière de transition écologique qu’en matière de droits des ­travailleurs.

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