Dans les urnes ou dans les têtes, le crescendo de l’extrême droite européenne
Malgré la victoire du candidat europhile en Roumanie, les élections du 18 mai confirment l’enracinement de l’extrême droite dans le paysage politique européen. En Pologne, au Portugal ou en Roumanie, ses succès — électoraux ou idéologiques – interrogent sur les moyens de l’endiguer.

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Agnieszka Holland : « Il y a une crise de l’espoir en Europe » Portugal : comment l’extrême droite a imposé ses thèmes Pologne, Portugal, Roumanie : la poussée de l’extrême droite en trois infographies Portugal : l’extrême droite à qui perd gagneL’Europe résistera-t-elle encore et toujours à l’extrême droite ? À première vue, les résultats électoraux de ce dimanche 18 mai semblent aller en ce sens. En Roumanie, le candidat proeuropéen Nicușor Dan a remporté la présidentielle en totalisant 53,6 % des suffrages, face au souverainiste trumpiste George Simion (46,4 %), pourtant en tête du premier tour. Un soulagement général, puisque la position du pays s’avère cruciale face à la menace russe. Reste que ce pied de nez à l’extrême droite – roumaine et européenne – est moins rutilant qu’il n’y paraît.
Si on a longtemps cru le Portugal immunisé contre l’extrême droite, la percée du parti Chega ! (« Ça suffit ! », en français) à l’issue de ces élections législatives a prouvé le contraire : crée en 2019, il a su devenir, en quelques années, la troisième force politique nationale, jusqu’à franchir, pour la première fois, la barre des 20 % ce dimanche. Au-delà des résultats du scrutin, sa véritable victoire réside surtout dans la contamination des sujets comme la sécurité et l’immigration au sein du débat public.
Idem pour la Pologne : certes, le candidat proeuropéen Rafal Trzaskowski est arrivé en tête du scrutin, avec 31,2 % des voix, mais l’écart avec son adversaire pro-Trump, Karol Nawrocki, s’est avéré minime, loin des prévisions qui annonçaient une avance confortable. Le parti d’extrême droite libertarien Konfederacja (14,9 %) et le candidat royaliste antisémite Grzegorz Braun (6,4 %) ont su, quant à eux, recomposer totalement le paysage politique en séduisant une jeunesse en quête de rupture avec le système. Au total, 41 % des jeunes entre 18 et 29 ans ont voté en leur faveur.
L’extrême droite européenne en flèche
Ces résultats reflètent la poussée globale de l’extrême droite en Europe. Après l’instauration d’une démocratie illibérale hongroise sous Orbán depuis 2010, s’est ajoutée la prise de pouvoir de Giorgia Meloni en 2022, puis celle de l’indépendantiste flamand Bart de Wever, le 3 février 2025. En Allemagne, le parti d’extrême droite AfD a recueilli 20 % des voix lors des dernières élections pour s’imposer comme la deuxième force politique. Le constat est tout aussi alarmant en France depuis les législatives de 2024 : le Rassemblement national constitue désormais le premier groupe politique à l’Assemblée nationale , avec 124 sièges sur les 575 pourvus.
Selon Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d’information sociopolitique (Crisp), cette progression s’explique par différents facteurs : « il y a d’abord un vote d’adhésion, c’est-à-dire des personnes qui, sur la base de crainte, dans des contextes de crises variées, économiques, migratoires et sécuritaires, sont interpellées par une offre politique d’extrême droite ». C’est le cas de la Pologne, où les thématiques du candidat d’extrême droite Slawomir Mentzen retournent principalement autour de l’arrêt des aides financières aux réfugiés ukrainiens.
Mais il s’agit aussi d’un « vote protestataire » porté par un discours antisystème. « Au Portugal, les élections législatives anticipées interviennent après que M. Montenegro et sa formation aient été pointés du doigt pour conflits d’intérêts. »
Des extrêmes droites
G. Meloni envoie des signaux qui visent à rassurer les partenaires européens sur son attitude vis-à-vis de la scène internationale.
B. Biard
Plus généralement, l’extrême droite a su lisser son image pour se présenter comme un parti tout aussi respectable que les autres. Les législatives de 2024 ont matérialisé les effets de cette dédiabolisation : avec une extrême droite partagée entre les Conservateurs et réformistes européens (ECR), les Patriotes pour l’Europe (PfE) et l’Europe pour les nations souveraines (ESN), le Parlement européen n’a jamais été aussi conservateur.
D’autant que le centre droit (PPE) a plusieurs fois lancé des œillades à ces partis, ce dont témoigne Majdouline Sbaï, eurodéputée au sein du groupe Les Verts/ALE : « Il y a des alliances sur la volonté de déréguler tout ce qui concerne la traçabilité des chaînes d’approvisionnement. Ils sont alliés contre les cibles données à l’industrie en matière de décarbonation, ce qui était les grandes décisions du pacte vert. »
Ces coopérations signalent aussi l’hétérogénéité de l’extrême droite européenne. Car malgré des constantes idéologiques, des points de dissensions subsistent, notamment en termes de politiques étrangères. « Qui est le plus pro Russie ou le plus opposé à la Russie ? Il s’agit là d’une grande distinction entre les familles de partis. Par exemple, l’extrême droite polonaise est généralement antirusse, comme le reste des partis de la Pologne. Cela a à voir avec l’intérêt national et les agressions historiques de la Russie sur son territoire. En Hongrie, à l’inverse, Orbán a une position beaucoup plus favorable à Poutine », détaille Javier Carbonell, analyste politique au European Policy Center.
L’extrême droite alimente également une relation plus ou moins conflictuelle avec Bruxelles. En Italie, Giorgia Meloni a nommé à la tête du ministère de l’étranger, Antonio Tajani, plutôt europhile. Une décision loin d’être anodine selon Benjamin Biard : « Elle envoie des signaux qui visent à rassurer les partenaires européens sur son attitude vis-à-vis de la scène internationale ». A contrario, l’extrême droite roumaine portée par Georges Simion est eurosceptique et anti-soutien à l’Ukraine.
Quels garde-fous ?
Dans cette constellation ultraconservatrice, la possibilité d’une investiture de l’extrême droite polonaise interroge sur les conséquences à l’échelle européenne : « Forcément, ce serait un coup porté, parce que l’Europe est un équilibre qui fait des compromis pour essayer de trouver une voie commune. Et là, on tirerait d’un côté, en libérant aussi des paroles et des actes. Ce qui est certain, c’est que cela passera le message qu’une bascule est possible au reste des États membres », analyse Majdouline Sbaï, qui s’interroge sur « l’imaginaire collectif » que la gauche peut proposer à rebours.
Nous devons avoir une démocratie plus robuste et qui résiste davantage aux phénomènes populistes.
M. Sbaï
« Chez les Écologistes, on est pour une constituante, parce que cette réconciliation avec les citoyens doit intervenir au plus vite. Nous devons avoir une démocratie plus robuste et qui résiste davantage aux phénomènes populistes. » Ce, autour de valeurs telles que « la prospérité durable partagée et la puissance écologique et sociale » pour constituer une « nouvelle étape du projet européen. »
Sur les leviers disponibles pour enliser la progression de l’extrême droite, Javier Carbonell pointe aussi le raffermissement d’une politique sociale dont les failles sont aujourd’hui exploitées par l’extrême droite : « L’une des principales erreurs commises par l’Union européenne actuelle est d’oublier tous les éléments sociaux de son programme. Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de défense, et la seule initiative sociale de la commission Européenne est la promotion de logements abordables. »
Paradoxalement, l’influence de Trump pourrait également être bénéfique aux partis de traditionnels, de gauche comme de droite : « si Trump a d’abord eu un effet positif pour l’extrême droite en Europe, ce n’est plus le cas avec ses politiques de confrontation avec la Russie et les tarifs douaniers ». L’occasion de renvoyer l’extrême droite à ses contradictions, en la critiquant comme « traître à la nation par son soutien d’une puissance étrangère. Vous utilisez la principale force des partis d’extrême droite – la défense de la nation – contre elle ». Autrement dit, utiliser Trump en repoussoir stratégique. Et d’ainsi espérer « Make far right bad again » ?
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