Déni et islamophobie

Tué de 57 coups de couteau alors qu’il priait dans une mosquée, Aboubakar Cissé n’a pas suscité l’unanimité nationale dans le deuil. Face à l’indifférence politique, à la négation de l’islamophobie et au « deux poids deux mesures » dans la reconnaissance des victimes, la sociologue Hanane Karimi interroge la responsabilité d’un État qui peine à nommer la haine lorsqu’elle vise les musulman·es.

Hanane Karimi  • 6 mai 2025
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Déni et islamophobie
Rassemblement en mémoire d'Aboubakar Cissé », place de la République à Paris, le 1er mai 2025.
© Ian LANGSDON / AFP

Aboubakar Cissé a été tué de 57 coups de couteau. 57 coups de couteau, c’est la volonté d’anéantir, d’assouvir sa haine, de faire disparaître. Tué en pleine prière, en prosternation. Et cette question qui plane depuis l’annonce de son assassinat : Aboubakar Cissé mérite-t-il d’être pleuré au même titre que Samuel Paty ou le père Hamel ? La non-participation du RN à la minute de silence arrachée par le groupe LFI au sein de l’Assemblée nationale est un début de réponse.

Olivier H., le tueur, a signé son acte dans une vidéo à la suite de son crime : « Je l’ai fait, ton Allah de merde ! » Face aux crimes islamophobes, à la haine d’une religion « de merde » ou d’un Dieu « de merde », il n’y aurait pourtant pas d’islamophobie. Alors que l’effroi, la sidération et le deuil sont partagés par des millions de Français et de Françaises, on assiste aux atermoiements du ministre de l’Intérieur et des cultes, qui révèlent sa gêne face à l’évidence de l’islamophobie et d’un « deux poids deux mesures » flagrant.

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Il n’y aurait pas d’islamophobie, et les hussards du déni s’évertuent à détourner l’attention sur un terme qu’ils jugent inapproprié, ils se targuent de leur vigilance face à une instrumentalisation déjouée et au droit supposément menacé de critiquer l’islam. Inapproprié, ce débat sémantique ; indécents, ces discours politiques, alors que le procureur de la République d’Alès, Abdelkrim Grini, avait considéré la piste islamophobe, alors que les menaces, les agressions verbales et physiques contre les musulman·es se multiplient.

L’assassinat d’Aboubakar Cissé est instrumentalisé par ceux-là mêmes qui s’évertuent à faire de tout musulman un danger pour la République.

La procureure de la République de Nîmes, Cécile Gensac, explique, elle, que le criminel a « agi dans un contexte isolé, sans revendication idéologique ou lien avec une organisation ». Et d’ajouter que « l’insulte scellant le crime haineux n’est pas caractérisée ». L’assassinat d’un musulman dans une mosquée, en prière, par la main d’un homme qui signe son crime d’un « Allah de merde » n’aurait pas de revendication idéologique…

Inversion de culpabilité

Au pays du déni, l’islamophobie fait loi. L’islamophobie n’est pas caractérisée comme une revendication idéologique. L’indécence de la ministre en charge de la Lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, qui parle de « nuance » et rappelle que l’islamophobie est instrumentalisée par les « ennemis de la République » ! Je demande : est-ce qu’Olivier H. est un ennemi de la République ? Cette désignation est-elle exclusive aux musulmans suspects ? L’inversion de la culpabilité est une démission face à sa responsabilité politique.

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L’assassinat d’Aboubakar Cissé est instrumentalisé par ceux-là mêmes qui peinent à s’émouvoir et s’évertuent à faire de tout musulman un danger pour la République. Face à la faillite du gouvernement Bayrou, interrogeons la responsabilité politique de celles et ceux qui usent d’amalgames performatifs poussant à la haine des musulmans. Embarrassés par l’évidence, il leur faut travailler l’émotion pour imposer un récit qui légitime le déni d’islamophobie.

Pas de répit face au deuil, pas de grand discours sur la défense du corps national dans lequel les musulman·es seraient inclus·es symboliquement. Au déni, à l’indécence du débat sémantique, l’insulte a succédé, assortie du peu de considération accordée à la vie d’un jeune homme musulman et au deuil de sa perte. Pas d’embarras face à l’horreur, pas de marche ni de deuil national. L’incapacité du gouvernement Bayrou à gérer cet attentat islamophobe impose sa démission.

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