Médine : « Ça fait des années que je m’attends à ce qu’une balle se loge entre mes omoplates »
Le rappeur, visé par le groupe d’extrême droite AFO, se constitue partie civile lors du procès de ses membres. Il explique en exclusivité à Politis la nécessité de riposter sur le terrain judiciaire dans un contexte de montée du racisme et de l’islamophobie.

© Maxime Sirvins
Le procès de 16 membres du groupe Action des forces opérationnelles (AFO) pour associations de malfaiteurs terroriste se poursuit. En plus de projets impliquant d’empoisonner de la nourriture halal ou de tuer des imams salafistes, le groupe avait évoqué la possibilité de « s’en prendre » au rappeur Médine. Ce dernier vient de se constituer partie civile. La recevabilité de sa demande sera examinée au cours du procès. Avant d’être auditionné aujourd’hui par le tribunal, il livre une interview exclusive à Politis.
Pourquoi est-il important pour vous de vous constituer partie civile aujourd’hui ?
Médine : C’est important au-delà de mon cas et des menaces dont je peux faire l’objet, pour que la vie des musulmans compte à nouveau dans ce pays. Ça me dépasse. Si ça ne me concernait que moi, ce serait anecdotique. Mais là, ça me dépasse. Il faut que j’aille sur le terrain judiciaire pour tous ceux qui ne peuvent pas le faire. J’y vais sans être certain que ma constitution de partie civile soit jugée recevable.
Comment vivez-vous le fait d’apprendre par la presse les projets d’attentats ou même le début du procès ?
Je le vis comme une angoisse. Au-delà de ma personne, ça angoisse mon entourage familial et professionnel qui peut se dire que ça peut surgir là et maintenant. Je suis dans une espèce de résilience et en combat à mort contre l’extrême droite. J’étais en pleine tournée en 2018, j’ai dû prendre des agents de sécurité en plus. J’avais dû engager deux agents de sécurité, déménager car mon adresse était connue, sur conseil de mon entourage et de mes avocates.
Je me sens livré à moi-même dans ce combat.
Ça demande un aménagement logistique et un ménagement psychologique. Cette affaire date de 2018. Ça fait 7 ans qu’on a appris que des attentats étaient prévus contre des musulmans. Pendant 7 ans, j’ai attendu qu’une balle vienne se loger dans mes omoplates. Je n’ai jamais été contacté, protégé ou averti. Je me sens livré à moi-même dans ce combat. Ça en dit beaucoup sur la façon dont la société traite les musulmans.
Jusqu’ici les prévenus disent que c’était du « fantasme » et qu’ils n’allaient jamais rien faire. L’actualité récente a été marquée par des meurtres racistes. Est-ce que ce contexte politique vous a aussi encouragé à vous constituer partie civile ?
Le timing n’est pas anodin. Il y a des passages à l’acte sur des citoyens musulmans qui font que c’est indispensable d’aller sur tous les terrains de lutte. Si je dois y aller, c’est que nous avons déjà glissé. Le meurtrier d’Aboubakar Cissé à La Grand-Combe (Gard) était un sympathisant d’extrême droite. C’est aussi le cas pour Hichem Miraoui à Puget-sur-Argens (Var). On est dans un transfert de la parole à l’acte. L’extrême droite agit clairement et il faut riposter sur le terrain culturel et judiciaire.
Comment appréhendez-vous le fait de vous retrouver dans la salle d’audience avec des personnes d’extrême droite qui ont évoqué en réunion le fait de « s’en prendre » à vous ?
Je suis combatif et peu importent les regards, les attaques, les coups bas, les mensonges, je ne suis pas là que pour ma petite personne. Je suis là pour que les musulmans puissent retrouver de la dignité et leur vie revalorisée. Car de plus en plus, on a l’impression que la vie des Arabes ne vaut rien.
Les prévenus invoquent l’attentat du Bataclan, en novembre 2015, pour justifier leur racisme. À l’époque vous aviez dû renoncer à un concert au Bataclan suite aux menaces et à des pétitions de l’extrême droite. Comment voyez-vous le fait qu’ils mobilisent cet événement qui a traumatisé de nombreuses personnes pour justifier leur volonté de tuer ?
C’est moi qui avais annulé ce concert car les familles de victimes commençaient à se sentir impactées. C’est ce qui nous différencie avec l’extrême droite. Eux n’en ont rien à faire de la mémoire des victimes, ils sont dans l’instrumentalisation et l’exploitation de cette mémoire. On fait passer du racisme et des thèses néonazies pour de la critique de l’islam. C’est ni plus ni moins qu’un montage savamment pensé et précis et qui gangrène toutes les sphères de la société. Ce discours est présent dans le discours des politiques en place. Retailleau ou Attal ont le même discours sur la laïcité. C’est pour ça que je suis une cible.
À l’époque, Marine Le Pen avait considéré que ce concert était « insultant à l’égard de nos morts ». Au-delà de l’extrême droite, quel rôle a la droite et ceux qui vous qualifient d’« islamiste », comme a pu le faire Aurore Bergé, dans le fait que des gens en viennent à vouloir vous tuer ?
Aurore Bergé et les autres qui font des raccourcis en reprenant les thèmes de l’extrême droite me collent des cibles dans le dos. Ce sont eux qui mettent des cibles dans le dos de simples artistes. Nous sommes en désaccord sur le débat politique et public, mais ça ne devrait pas conduire à ce que je devienne une cible.
Ma ténacité, ma sincérité ne correspondent pas au récit national qu’on veut déployer dans la sphère politico-médiatique.
En aout 2023, 62 députés Renaissance et Modem avaient publié un communiqué demandant à EELV et à la France Insoumise « de renoncer à inviter » un « militant islamiste ». Ça avait fait couler beaucoup d’encre et suscité beaucoup de réactions politiques. Bien plus que quand des militants d’extrême droite sont jugés pour association de malfaiteurs terroristes. Comment vous voyez ça ?
Ma ténacité, ma sincérité ne correspondent pas au récit national qu’on veut déployer dans la sphère politico-médiatique. Du fait que je me sois amendé de certaines erreurs dans le débat public, que je sois complexe, je ne sers pas le narratif actuel. Je prends un exemple : hier, Rachel Khan. C’est elle qui m’avait qualifiée de « déchet à trier » avant même tout ce déferlement autour de l’université des Verts. Elle a tweeté une iconographie qui relève du IIIe Reich et du nazisme en parlant des musulmans [elle a depuis retiré cette publication, N.D.L.R] Elle a pris une pieuvre pour parler de la présence musulmane en France. Si on était objectifs dans le débat politique et médiatique, elle serait beaucoup plus condamnée que je ne le suis.
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