Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers »
Le rapport d’enquête sur les violences commises au sein des établissements scolaires réalisé à la suite du scandale de Notre-Dame-de-Betharram a été rendu public, ce mercredi. Politis a demandé à Claire Bourdille, fondatrice du Collectif Enfantiste, de réagir à cette publication.

© JULIEN DE ROSA / AFP
« Une décision historique » et une « reconnaissance du problème systémique », pointe Fatiha Keloua Hachi, présidente socialiste de la commission d’enquête parlementaire, lors de la présentation du rapport sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires, ce mercredi 2 juillet.
Le député insoumis du Val-d’Oise, Paul Vannier, et sa collègue d’Ensemble pour la République à Lyon, Violette Spillebout, tous deux corapporteurs, étaient également présents lors de cette conférence de presse. Les deux élu·es ont dévoilé les 50 recommandations communes d’un rapport très attendu, résultat de dizaines d’auditions, dont celle du premier ministre, François Bayrou, soupçonné d’avoir menti à plusieurs reprises alors qu’il était au courant des violences commises à Notre-Dame-de-Bétharram.
Violette Spillebout insiste : « Ce rapport n’est qu’un point d’étape, car ces recommandations doivent être mises en œuvre » au vu « de la responsabilité qui nous incombe par rapport aux victimes ». Le constat de la défaillance de l’État est en effet « accablant » selon Paul Vannier qui demande « une révolution majeure » de toutes les institutions pour « éviter d’autres Bétharram ».
Claire Bourdille, fondatrice du Collectif enfantiste, une association de lutte contre toutes les formes de violences subies par les enfants, répond aux questions de Politis, en marge de cette publication.
Ce rapport est-il à la hauteur des enjeux ?
Claire Bourdille : Ce rapport nous touche particulièrement car il décrit précisément les violences contre lesquelles nous luttons chaque jour. Sa publication constitue une forme de reconnaissance pour les victimes et pour toutes celles et ceux qui œuvrent quotidiennement afin que ces violences cessent. On accueille donc ce rapport avec enthousiasme, mais on reste inquiets quant aux mesures concrètes qui suivront.
On espère vraiment que ça éveillera les consciences et que ça entraînera des changements réels, mais on craint aussi qu’avec sa publication en début d’été, il soit rapidement oublié. Une mobilisation nationale est d’ailleurs prévue le samedi 15 novembre pour rappeler à l’État ses responsabilités au sujet des violences sur mineurs.
Il est urgent de déconstruire l’adultisme, terreau de toutes ces violences systémiques.
C. Bourdille
Le rapport pointe notamment le rôle des établissements privés catholiques sous contrat. Est-ce une remise en cause suffisante des institutions et des violences systémiques ?
Ce rapport met en avant la nécessité de lever le secret de la confession, ce qui nous paraît évident. Mais il ne s’agit pas uniquement de l’Église : toutes les institutions sont concernées par ce système de domination. Il faut aussi que les médecins, les psychologues, les enseignant·es, etc, dénoncent invariablement les faits de violences sur mineurs.
Pour nous, il manque un mot essentiel dans ce rapport : l’adultisme, et pourtant, c’est bien de cela dont il s’agit. Un système de domination systémique des adultes sur les enfants. L’enfant est considéré comme un menteur, un affabulateur. C’est une réalité qui est présente dans toutes les institutions, dans la majorité des familles et chez la plupart des adultes. Tant qu’on n’aura pas changé cette vision-là de l’enfant et de la toute-puissance de la parole des adultes, on n’avancera pas.
Parmi leurs recommandations, les corapporteurs mettent en avant la responsabilité de l’État, notamment vis-à-vis des contrôles d’établissements scolaires. En quoi la reconnaissance de cette responsabilité est importante pour vous ?
Le gouvernement a beaucoup pointé du doigt les parents irresponsables, par exemple Gabriel Attal qui répète « Tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies » Mais ça vaut aussi pour l’État. C’est affligeant de voir l’État faire la morale aux parents, alors que lui-même n’est pas capable de protéger les enfants, et fait perdurer la violence en son sein. L’État est clairement défaillant à plein de niveaux, il a cassé et sali des enfants vulnérables par milliers. Est-ce qu’il va vraiment mettre les moyens pour changer cela ?
On nous dit qu’aujourd’hui le problème en France c’est les jeunes, pas les adultes. Mais en fait, on se trompe. Les agresseurs, ce sont les adultes. Il y a des enfants agresseurs évidemment, mais ce n’est pas comparable, car ils grandissent dans un monde d’une extrême violence envers eux. François Bayrou a dit, devant toute la France, qu’on pouvait taper un enfant, que c’était un « geste éducatif ». C’est extrêmement grave, et il n’y a eu aucune réaction politique derrière. C’est dire le niveau inquiétant de l’adultisme en France. Comment voulez-vous que ces violences-là ne perdurent pas ?
La deuxième recommandation stipule de reconnaître la responsabilité de l’État pour les carences ayant permis la perpétration de violence commises sur les enfants et la création en conséquence d’un fond d’indemnisation et d’accompagnement des victimes. Est-ce suffisant pour la réparation des victimes ?
Le fond d’indemnisation et l’accompagnement des victimes, c’est un minimum. Ça pose la question de la réparation des victimes et la reconnaissance de la responsabilité de l’État et des institutions. Mais par contre, ce que je peux pointer dans ce rapport, c’est qu’il n’y a pas assez de prévention. Le gouvernement se déresponsabilise beaucoup des violences dont il est pourtant en partie responsable. Parce que c’est bien de réparer les victimes, de protéger les enfants une fois qu’ils sont victimes de violences, mais comment on fait pour enrayer cette violence ? Et c’est là que rentre l’adultisme.
Il y a un mur, une espèce de chape de plomb qu’on ne peut pas dépasser.
C. Bourdille
Les auteur·ices préconisent la création d’une mission transpartisane pour réfléchir à une imprescriptibilité des violences commises sur les enfants. C’est une des demandes principales des collectifs de victimes. La préconisation est-elle à la hauteur ?
Il y a un vrai désaccord entre les associations de terrain, les victimes, les élus et même les institutions, comme la justice par exemple, parce que l’imprescriptibilité, ça appelle aux crimes contre l’humanité. La question est essentielle parce qu’on ne pourra pas faire passer cette imprescriptibilité pour l’instant. Il y a un mur, une espèce de chape de plomb, comme ils disent dans le rapport, qu’on ne peut pas dépasser. Avec l’affaire Bétharram, on comprend bien la nécessité de faire sauter cette entrave juridique, parce que là, il y a des personnes qui ont agressé et violé des dizaines d’enfants et qui vivent aujourd’hui leur vie tranquillement. Ils sont dans une impunité totale à cause de cela.
C’est affligeant de voir l’État faire la morale aux parents, alors que lui-même n’est pas capable de protéger les enfants.
C. Bourdille
Au cœur de ce rapport également, c’est la question du signalement. Il est préconisé de créer une nouvelle cellule de signalement, Signal Éduc, parce que la Crip (cellule de recueil des informations préoccupantes) au niveau départemental n’est pas en charge des violences commises en établissement scolaire. Qu’en pensez-vous ?
Je trouve cela très intéressant, parce que Signal Éduc serait spécialisé sur les maltraitances d’adultes encadrant sur des élèves. La Crip est, elle, davantage portée sur les violences intra-familiales. En plus, elle souffre d’un manque de formation. Cette nouvelle cellule pointe une forme de violence spécifique, avec un autre besoin de suivi. Et, par exemple, si les violences concernent le directeur ou la directrice, comment faites-vous ? Là, tous les personnels ne seront plus obligés de passer par la hiérarchie. Dans le rapport, ils pointent justement que ces violences-là, elles sont beaucoup tues parce qu’il y a une protection aussi entre pairs, et au sein même de l’institution.
Il y a déjà eu des rapports notamment sur les violences sexuelles de la Ciivise. Est-ce un rapport parmi d’autres ? Pensez-vous que ce rapport aura des conséquences concrètes ?
C’est vrai qu’il y a déjà eu le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) en 2021, les 82 préconissations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), publiées en novembre 2023, et le rapport sur l’aide sociale à l’enfance, sortie en ce début d’année, pour ne citer qu’eux. À chaque fois, ces rapports sont mis en attente, et leurs recommandations peinent à être appliquées.
Avec les présidentielles qui arrivent en 2027, on essaye de mobiliser la société civile sur ces sujets. C’est pour cela que l’on veut organiser des manifestations partout en France le 15 novembre 2025. Il est urgent de déconstruire l’adultisme, terreau de toutes ces violences systémiques. Et peut-être que si on arrive à faire pression, il y aura des candidats qui parleront des violences faites aux enfants, avec, enfin, une véritable volonté politique derrière.
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